jeudi 28 mai 2015

J-M. Guenassia : "La vie rêvée d'Ernesto G."

***** 2012, Ed. Albin Michel, 538 p. - Réf. géogr : France / Algérie / Tchécoslovaquie

Je viens d'apprendre que Jean-Michel Guenassia était né à Alger (en 1950).
Son roman "La vie rêvée d'Ernesto G." nous balade justement de Prague à Paris, puis à Alger, puis dans un no man's land insalubre de l'arrière-pays de Sidi Bel Abbès, puis retour et fin à Prague, avec petite parenthèse vacances en Bulgarie.

Tout d'abord, le titre sonne un peu comme une usurpation. Ernesto G. n'apparaît que vers la fin du roman, qui, lui, déroule la vie sur une centaine d'années (oui !) de Joseph Kaplan, dit Joseph K., jeune médecin d'une famille praguoise d'origine juive, passionné de tango et inconditionnel de Carlos Gardel.
Tombeau de Carlos Gardel
Cementerio de la Chacarita
Buenos Aires
(photo Seb 2015 !)

J'ai trouvé le début peu emballant : le personnage principal après avoir perdu sa mère (adoratrice du tango...) vers l'âge de 10 ans, se désintéresse de son père et grandit tout seul, un brin égoïste et égocentrique tout de même. Après (ou dans le cadre de... v'la que j'ai déjà un trou de mémoire !) ses études de médecine, son père l'envoie à Paris peaufiner sa médecine. Et là ce sont les pages les moins emballantes à mon avis : le Joseph s'amuse et s'amuse dans le tourbillon parisien. Nous, nous ennuyons en lisant ses dévergondages.

La lecture revêt une toute autre dimension quand Joseph débarque à Alger dans un établissement de l'Institut Pasteur. C'est pour Joseph K. comme pour le lecteur l'éblouissement :
"En cette fin de journée d’octobre 38, à l’âge de vingt-huit ans, il découvrit enfin le ciel et le soleil, regarda les docks en arcade montante comme une vague et, posé fièrement au-dessus, un jeu inextricable de cubes soudés par un architecte fou dévalant en cascade jusqu’aux immeubles éclatants qui défiaient la mer et comprit ce que voulait dire Alger la blanche." (p.44)
... Et comme l'avait signalé Albert Camus :

"Je recommande au voyageur sensible, s'il va à Alger, d'aller déjeuner au restaurant Padovani qui est une sorte de dancing sur pilotis au bord de la mer où la vie est toujours facile..." ("L'été", Albert Camus)

Ensuite, Joseph, pour échapper, aux premières vindictes contre les Juifs à Alger, en ces temps de guerre, est "transvasé" (c'est vraiment le cas de le dire) par son chef dans une contrée insalubre de marécages de l'arrière-pays de Sidi Bel Abbès. Il y assure la "direction" de la station expérimentale de l'Institut Pasteur dédiée au paludisme. Dans des conditions dantesques parfois, il y découvre la pratique de la médecine de survie auprès d'une population d'extrême misère, et ça lui parle !
Ce sont là des pages passionnantes, pourtant le temps s'écoule parfois si lentement, à rester cloîtré des heures durant à cause du soleil abrutissant, à guetter à l'orée approximative de chaque fin de mois la jeep de ravitaillement avec l'indispensable kit de survie : les cigarettes et les journaux d'Alger.

Fin de l'occupation. Retour à Alger. Joseph se rapproche de Christine, comédienne dans l'âme ; ils partent s'installer à Prague, en pariant sur des jours meilleurs en cette après-guerre. Joseph épouse le communisme, devient député. Mais il y a Yalta, la guerre froide, le totalitarisme. Fin des libertés et brutal désenchantement.
Joseph et Christine ont deux enfants, Helena et Martin. Soudainement, Christine pète un câble, ou bien décide tout simplement de suivre sa légende personnelle : elle prend son garçonnet, abandonne fillette et mari et disparaît. On n'aura des informations sur cette fuite qu'à la fin.
Joseph accepte de prendre la direction d'un sanatorium d'une région paumée, où, un jour, on lui amène un patient de la plus haute importance. Un certain barbu latino-américain exsangue, Ernesto G.
Je ne sais plus à quelle page apparaît le personnage du Che, mais c'est plus près de la fin que du début. J'ai finalement trouvé cette historiette dans l'histoire et dans l'Histoire un peu trop incongrue. Certes, cela donne une image du Che différente des images d'Épinal qu'on a en tête. Et l'arrière-plan historique des relations soviéto-cubaines est intéressant. Mais, bon, what else ; est-ce bien là une vie rêvée ?
"Il indique que les autorités cubaines, en accord avec les autorités soviétiques, ont décidé d'allumer deux ou trois Vietnam, notamment en Amérique centrale et en Amérique latine. (...) Ernesto Guevara est l'homme-clé de ce dispositif, il est utile à la cause prolétarienne. Il n'est pas question qu'il se soustraie aujourd'hui à ce plan longuement réfléchi et élaboré par les responsables cubains et soviétiques.Comme le précise le représentant soviétique : on n'a pas besoin d'un Guevara heureux. Il convient donc d'empêcher par tous les moyens le départ d'Helena Kaplan." (p.530)
Comme toujours chez Monsieur Guenassia, un louable travail de documentation. Dans le lot des trois romans que j'ai lus de cet auteur, celui-ci occupe la troisième position. 

--> Du même auteur : Le club des incorrigibles optimistes (2009) - Trompe-la-mort (2015)

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